Les formes géométriques

Nous voilà repartis pour un nouvel article cette fois-ci consacré, comme vous le savez déjà, aux formes et à tout ce qui les concerne ou presque. Effectivement je souhaite dire d’emblée dans cette introduction que ce sujet ne sera peut-être pas totalement exhaustif car il est, comme de coutume dans mes articles, vaste et mériterait à lui seul bien plus qu’un simple article de blog. Mais procédons dans l’ordre. Les formes, leurs symboliques, leurs origines, leurs variantes et tout ce qui en découle ont façonné, et façonnent encore, non seulement les Arts mais également bien des aspects de nos sociétés modernes. Alors, en forme pour ce nouvel article ?

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Mais soyons tout à fait clairs dès le début. Il ne faudrait pas risquer une certaine confusion ou quelconque malentendu dans l’appellation forme, bien que nous sachions tous ce que signifie ce terme. Ici je vais parler de formes géométriques, telles que le modeste carré, le simple cercle, ou le piquant triangle. Oui, j’aime les adjectifs. Nous allons donc voir les formes les plus répandues, aussi bien dans leur utilisation que dans leur symbolique. Mais avant de parler des formes que nous rencontrons à longueur de journée dans notre vie quotidienne, évoquons pour commencer et rapidement, leurs origines. En somme, posons les bases.

Par Markus Spiske sur Pexels

Retour aux sources

Il est fort probable que dans l’imaginaire collectif, quand nous parlons de première apparition d’une forme ayant marqué l’histoire, nombre d’entre nous pensent en tout premier lieu à la roue. Elle nous vient des Sumériens et date de 4000 ans av. JC. C’est sans doute l’une des inventions les plus importantes tant elle a conditionné les siècles à venir dans différents domaines (agriculture, alimentation, transport, etc). Toutefois le cercle, qui a préfiguré l’invention de cette même roue, est quant à lui bien plus ancien. On ne peut pas vraiment dater son apparition puisqu’il remonte à l’époque des hommes préhistoriques mais il est certain que les cercles de pierres, par exemple, ont bel et bien été créés par l’Homme. Certains, comme Stonehenge, ont traversé le temps pour parvenir jusqu’à nous. Le cercle apparait aussi dans les peintures rupestres ou même dans les pétroglyphes. Ainsi le cercle est un symbole très ancien et donc, très chargé. La forme suivante qui nous vient à l’esprit est le carré, qui lui aussi revêt une importance toute particulière, tant dans sa symbolique que dans son utilisation. Il apparait lui aussi dans certaines peintures préhistoriques ce qui le place, en termes d’ancienneté, au même rang que le cercle. De façon plus tangible, des poteries mésopotamiennes datant de 6000 ans av. JC ont été découvertes avec à leur surface des décorations carrées. Puis, assez naturellement, la troisième forme géométrique qui nous vient en tête est le triangle qui, lui aussi et sans grande surprise, est apparu il y a bien longtemps. La preuve de son utilisation la plus évidente et la plus marquante étant, bien entendu, la présence des pyramides en Egypte. Après quoi on aura une pensée pour le rectangle et le losange qui sont deux formes géométriques elles aussi assez marquantes pour être évoquées ici. On pourra retrouver les formes précédemment évoquées en architecture, dans l’ingénierie mécanique, dans les mathématiques appliquées et bien sûr dans diverses signalétiques (code de la route, instructions d’utilisation, dangerosité des produits, marquages divers et variées, tant au sol que dans les infrastructures publiques ou privées). Les bases ayant été posées, succinctement ceci dit, nous pouvons dès à présent passer à ce qui nous intéresse vraiment dans cet article, à savoir l’utilisation des formes dans l’art, leur langage inhérent et surtout leur symbolique.

Dôme intérieur d’une église néo baroque, Gozo, Malta par Lauma Augstkalne

Le cercle

Impossible de passer à côté de cette forme puisqu’elle est associée dans nos imaginaires à des corps célestes aussi anciens qu’influents, à savoir la lune et le soleil eux-mêmes. Ce n’est une surprise pour personne, le cercle et tous ses dérivés sont énormément utilisés en art. Et c’est bien normal. Lorsqu’il s’agit de nourrir une œuvre, le cercle apporte douceur, harmonie et équilibre à la composition. C’est un élément graphique incontournable qui attire le regard sans aucun problème, d’autant plus si le motif se répète (à l’identique ou non). C’est d’ailleurs l’une des raisons qui rendent le travail de Yayoi Kusama si populaire partout dans le monde. Ou encore ce qui explique en partie pourquoi le pointillisme a eu autant de succès auprès du grand public. Outre le fait que dans l’ensemble et de loin, il offre un regard nouveau sur le monde, dans le détail lorsqu’on se rapproche, sa juxtaposition de points redevient un peu plus abstraite mais fascine tout autant.

En ce qui concerne la symbolique du cercle, un article entier ne suffirait pas à en faire le tour mais tâchons modestement d’en donner les grandes lignes. Ou du moins, les points qui semblent les plus pertinents en rapport avec le sujet traité ici, l’art et la peinture. On associe le cercle au ciel, au céleste et au divin. Non seulement en raison des formes respectives du soleil et de la lune, mais parce qu’il est, selon les philosophes platoniciens, la forme parfaite par excellence. En effet, le cercle ne possède ni début, ni fin, ni direction, ni orientation. Il est également symbole d’éternité ou d’éternel recommencement, à l’instar du serpent qui se mord la queue, Ouroboros. Notons également que lorsqu’on jette une pierre dans l’eau, des cercles concentriques se forment à la surface. Pourquoi parler de cela ? Parce que sur les grandes tombes préhistoriques, on peut voir de nombreux cercles similaires que certains interprètent comme une allusion au passage dans les eaux de la mort. On pourrait tout aussi bien y voir la chose inverse, c’est-à-dire la remontée de ces mêmes eaux, ce qui indiquerait alors une possible croyance en la vie après la mort, une réincarnation. Ce court passage sur la symbolique du cercle nous montre une chose s’il fallait n’en retenir qu’une : le cercle était déjà, bien avant que nous nous l’appropriions, une forme très usitée que ce soit à des fins de décoration, de rituels ou même de construction, notamment pour des temples. Il est par ailleurs associé au nombre 1 car il est plein et entier, indivisible et unique.

Rien n’est plus simple qu’un cercle. Pourtant, rien n’est plus parlant non plus. Il est le ciel et le spirituel, l’intangible et l’invisible. Puisqu’il n’a ni début ni fin, il est la représentation schématique ultime de l’univers.

Par Rostislav Usunov sur Pexels

Le carré

Le carré est la forme géométrique que l’on oppose généralement au cercle. On considère qu’il est son contraire, tant sur le plan visuel que sur le plan symbolique. Là où le cercle est « doux », sans aucun angle, le carré lui est « dur » puisque pourvu de quatre angles parfaits de surcroit (angles droits 90°). Nul besoin de démontrer l’importance de cette forme dans nos sociétés modernes. Nos bâtiments, nos quartiers, parfois même nos villes entières, sont construits à partir de son modèle. Graphiquement le carré est une forme stable, solide et durable. Il ancre et assoie une composition, quitte à l’alourdir par moment. En peinture, il est même présent dans le support lui-même puisque les toiles carrées sont encore très populaires à ce jour, en raison de leur aspect plus moderne. En effet, les châssis de peinture sont généralement rectangulaires, quelle que soit leur orientation (portrait ou paysage) mais le carré est venu depuis quelques temps chambouler ce fait établi. Comme œuvre marquante, on pourra par exemple citer le célèbre Carré blanc sur fond blanc de Kasimir Malevitch, qui est encore aujourd’hui un sujet de discussion récurrent entre amateurs d’art et non amateurs.

Parlons à présent de la symbolique du carré qui, tout comme le cercle, est suffisamment fournie pour mériter bien plus qu’un article à part entière. Voyons donc ses grandes lignes et ce qu’elle peut nous apprendre sur l’utilisation du carré, que se soit dans l’art ou n’importe où ailleurs. Comme dit un peu plus haut, la symbolique du carré est l’exacte opposée du cercle. Là où ce dernier est associé au ciel, au céleste et au divin, le carré lui est le symbole de la terre, du matériel et de l’humain. Le carré, à l’inverse du cercle, impose une structure au chaos et permet de s’orienter dans l’espace, au même titre que la croix. Le carré est très présent dans les constructions et plus encore dans celle des temples qui, en multipliant les étages, tendent à représenter la montagne cosmique. C’est le cas pour Angkor au Cambodge. Combiné au cercle, le carré est intégré au plan du temple du ciel de Pékin, ou du temple de Borobudur à Java. Certainement parce que le carré illustre notre réalité, notre matérialité et notre humanité, et comme les temples sont dédiés à des forces supérieures, on y combine le cercle qui est plus céleste et divin. Quel meilleur endroit pour combiner ces deux formes symboliques que dans la structure même d’un édifice religieux ? On pourrait également citer ici les mandalas indiens dans lesquels le cercle et le carré sont très présents. Les anciennes villes romaines étaient pensées en carrés et comportaient quatre quartiers égaux eux aussi carrés. Elles se voulaient à l’image du cosmos et possédaient en leur centre des piliers se dressant vers le ciel en référence à l’Axe du monde. On finira cette partie de l’article en évoquant les carrés magiques dont on trouve une trace dans presque toutes les civilisations. Le plus simple et le plus connu des carrés magiques, appelé Sceau de Saturne, est composé des neuf nombres premiers et nous vient vraisemblablement d’Agrippa de Nettesheim.

Carré magique du Sceau de Saturne

Chaque ligne, chaque colonne et chaque diagonale ont une somme de 15. Chaque croix, qu’elle soit droite ou diagonale, donne une somme de 25. Ces carrés magiques font aussi office de talismans. En porter un sur soi peut par exemple protéger sa maison, accroître sa fortune ou favoriser la fécondité des femmes. Le carré est un symbole puissant en soi, associé au cercle il fait partie d’un tout parfait, associé au nombre il devient protecteur. En résumé, c’est un symbole de puissance, de stabilité et d’ordre. Il est associé au nombre 4 de par sa structure (quatre côtés, quatre angles, divisible en quatre, etc) ce qui lui confère également la symbolique étendue de ce nombre.

Si le cercle est superbement simple, le carré lui est basique mais au sens le plus noble du terme, c’est-à-dire à la base de tout. Il est aussi bien la terre que la matière.

Par Kelly sur Pexels

Le triangle

Le triangle est une forme que l’on pourrait qualifier de secondaire dans le sens ou elle apparait généralement après les deux autres qui sont à la base de tout. Mais ce serait une erreur car sa place est souvent entre les deux formes précédentes. Ce qu’il faut comprendre par là c’est que le triangle fait souvent le lien entre la terre et le ciel. Après tout, il est inspiré des montagnes. S’il n’est pas aussi important que le cercle ou le carré, le triangle n’est pas pour autant négligeable tant il est, lui aussi, surreprésenté dans nos sociétés, qu’elles soient modernes ou anciennes. En graphisme, le triangle apporte une rupture. Il exprime une nécessité, d’attention la plupart du temps, probablement parce que ses angles sont plus acérés que ceux du carré et attirent le regard. C’est un élément qui impose sa présence, peut-être parce que sa forme, aussi schématique soit-elle, nous rappelle sans aucun effort la forme familière des montagnes. Toujours est-il que le triangle reste un incontournable et que son langage pourra varier selon qu’il est petit ou grand. Une caractéristique un peu différente qui le distingue du cercle et du carré. Si l’on devait le contempler dans une œuvre, il serait assez naturel de se tourner vers Vassily Kandinsky et, parmi d’autres, sa Composition VIII.

Sur le plan symbolique, le triangle n’a rien à envier au cercle ou au carré puisqu’il possède une richesse assez similaire. Ainsi, un triangle dont la pointe est en bas représente le féminin tandis qu’un triangle dont la pointe est en haut représente son contraire, le masculin. Puisque chaque chose doit avoir un lien aux hommes (anthropocentrisme) cela n’a rien de surprenant. Combinés, ils forment un Hexagramme. Associé aux montagnes, il fait le lien entre le ciel et la terre. Cependant si l’on ajoute une ligne verticale à un triangle pointant vers le bas, il devient un symbole d’eau. Lorsqu’on rajoute une ligne verticale à un triangle pointant vers le haut, il devient un symbole de feu. Mais attention, ça se complique encore puisque rajouter une ligne horizontale à un triangle pointe en bas est un symbole de terre, tandis que rajouter une ligne horizontale a un triangle pointe en haut est un symbole d’air. Tout le monde suit ? Et si l’être humain adorait compliquer la complexité ? À méditer. Quoi qu’il en soit le triangle est également un symbole souvent associé au christianisme puisqu’il symbolise à merveille la trinité. D’ailleurs, les francs-maçons se sont approprié plusieurs triangles dont le « Pythagore », le « triangle sublime » et le « delta lumineux ». Le premier est un triangle rectangle avec des côtés de longueur 3, 4 et 5 qui, combiné à des carrés, révèle une harmonie parfaite entre l’aire des carrés et les côtés du triangle (3² + 4² = 5² ou 9 + 16 = 25). Le second est un triangle bien précis dont l’angle du sommet est de 36° tandis que les angles de sa base sont à 72°, c’est donc un triangle isocèle de feu qui représente le ciel et la terre respectivement. Le dernier est un triangle possédant un angle à son sommet de 108° et des angles de 36° à sa base, qui symbolise les hommes fils du ciel. Ces triangles associés à ces chiffres racontent leurs propres histoires puisque 36 fait référence au ciel, 72 à la terre et 108 à l’homme. En résumé, le triangle est un symbole d’espérance, d’élévation et de dualité. Il est assez logiquement associé au nombre 3 dont la symbolique est tout aussi foisonnante.

Si le cercle et le carré forment un tout, le triangle lui est le symbole qui permet de les relier car le triangle repose sur la terre (carré) et s’élance vers le ciel (cercle).

Par An Hoàng sur Pexels

Les autres formes

Nous pourrions poursuivre ici en nous intéressant au rectangle, puis au losange, puis à d’autres formes encore mais cet article est déjà conséquent et il serait dommage de verser dans l’excès. Surtout lorsqu’un tel excès pourrait rebuter le lecteur. Nous allons nous arrêter là pour ce qui est des formes géométriques mais n’hésitez pas à aller chercher sur la toile plus de renseignements sur les formes qui manquent à l’appel dans cet article.

Conclusion

Les formes, quelles soient géométriques ou non, jouent un rôle non négligeable dans l’art. Cette affirmation est d’autant plus vraie depuis l’apparition de l’art abstrait, qui s’appuie sur divers outils pour s’exprimer en-dehors des codes de la figuration. L’un de ces outils les plus puissants, en dehors de la couleur et de la composition, est sans conteste l’utilisation des formes pour nourrir le sujet. Car même si les formes peuvent en dire beaucoup, elles ont également la particularité tout à fait singulière de n’en dire pas assez. Ce qui signifie que malgré une symbolique chargée, toute la beauté de leur présence réside dans le fait qu’elles sont, en tant que formes géométriques, un élément graphique d’une neutralité étonnante. Une personne pourra prêter à un cercle une sensation de douceur, qui lui est bel et bien propre, mais la personne suivante pourra tout aussi bien considérer ce même cercle comme une cible, changeant ainsi son message. Tout dépend de la composition. Tout dépend du spectateur. Car les formes géométriques sont suffisamment neutres pour être interprétées à loisir. Elles sont aussi paradoxalement suffisamment chargées de symboles pour exprimer une idée plus précise. C’est dans cette dualité contradictoire que réside leur force. C’est dans cette ambiguïté sous-jacente que peut s’exprimer l’artiste. L’existence de cet article vient aussi de là. Le sujet est fascinant. Du moins, pour qui ressent l’envie de s’y intéresser car force est de constater qu’il existe pléthore de sujets fascinants, dans bien des domaines.

Ainsi s’achève cet article consacré aux formes. Si d’aventure vous arpentez une rue, vous lisez une notice, vous observez vos contemporains, cherchez les formes qui vous entourent. Elles sont parfois visibles dans la signalisation par exemple, et parfois invisibles ou cachées dans un bâtiment, un article de blog ou la silhouette d’un passant. Attrapez-les toutes !

Pour tous ceux qui liront cet article jusqu’ici, un grand merci pour votre attention. Dans tous les cas, je vous dis à bientôt pour le prochain article !

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