Pour ce nouvel article, j’ai décidé d’évoquer un sujet plutôt théorique et parfois rébarbatif qui est pourtant un incontournable. La composition est l’une des trois pierres angulaires de la peinture (avec la couleur et la lumière). Elle est le socle de l’image et ce qui lui donne sa structure. On pourrait s’en affranchir totalement mais uniquement en laissant la toile vide, car même le plus minimaliste des tableaux abstraits possède un embryon de composition : avec tout juste deux traits et quatre points, leur seule présence ainsi que leur positionnement délibéré fait qu’une composition sommaire a été choisie. En d’autres termes, la composition est la façon dont le créateur décide d’agencer les éléments de l’image par rapport au cadre. C’est donc une notion importante. Dans certains cas, cette recherche est à la base de tout dans une peinture. Elle fait jeu égal avec l’idée et va tout déterminer ou presque dans l’image une fois qu’elle est validée.
Une structure
Ce n’est pas un mystère, l’être humain a tendance à apprécier les choses bien définies, c’est-à-dire qui sont immédiatement lisibles et reconnaissables. Une pièce d’habitation aura toujours une fonction claire. Un appareil aura toujours une notice. Une ville aura toujours des repères récurrents (bâtiments, infrastructures). Cette tendance s’étend également à la peinture. Même dans une peinture abstraite, il n’est pas rare de chercher une forme ou un symbole qui nous est familier. C’est quasiment un réflexe. Dans la même veine, c’est tout naturellement que notre œil est attiré par les lignes dominantes et les points d’intérêts. Ce sont eux qui structurent l’image et c’est leur ensemble qui crée la composition. Une image dont la composition n’a pas été pensée en amont ne sera pas ratée, loin de là, mais elle aura beaucoup moins d’impact que si elle l’avait été. La raison en est simple : la composition est un outil qui sert à capter l’attention. Sans son concours, une image sera moins saisissante. Si je devais faire une comparaison hasardeuse, je dirais qu’oublier la composition dans une peinture c’est comme oublier le sel dans un plat. Ce dernier n’est pas mauvais en soit, seulement un peu plus fade.
Tentons une petite expérience. Imaginez-vous sur un bateau en plein milieu de l’océan. Le ciel est bleu et la mer est calme. C’est vaste et… vide. Observer cet horizon pendant des heures à de quoi susciter l’ennui. Imaginez à présent un beau galion avec de grandes voiles, quelques mouettes et, pourquoi pas un ou deux rochers affleurant de la surface de l’océan. Tout de suite, l’image mentale que vous vous faites a un peu plus d’intérêt. La couleur des voiles. La forme des rochers. La position des mouettes. Tout cela vient dynamiser cette ligne d’horizon maussade. Vous venez de composer une image. Mentale certes, mais une image tout de même. Dans un paysage, l’horizon fait partie intégrante de la composition car c’est la ligne horizontale principale de l’image. Si aucune ligne verticale ne vient la contrarier, alors la composition de cette image sera bien morne. Je pense que vous avez saisi le principe de base. D’un autre côté, ce n’est pas parce qu’on multiplie les lignes de forces et les points d’intérêt que la composition sera meilleure. C’est même probablement l’inverse puisqu’en surchargeant l’image, on prend le risque de perdre en clarté. Même si une image contient beaucoup de personnages, de la végétation, des animaux et des bâtiments, le tout dans un même cadre, il faudra trouver des astuces pour que l’ensemble ne soit pas trop brouillon ou trop lourd. Par exemple, si des personnages apparaissent sur l’image systématiquement tous les dix centimètres, avec des postures très similaires et des tailles tout à fait identiques, alors aucun d’eux ne sortira vraiment du lot. Au contraire, si l’on décide de les rassembler dans un coin, de leur donner des attitudes et des apparences différentes, leur présence aura bien plus tendance à attirer l’attention en tant que groupe, surtout si ce sont les seuls personnages de l’image. Ce n’est qu’un exemple qui est sans doute très maladroit mais l’idée est là.
Bien évidemment, il existe des outils ou des astuces qui nous permettent de mieux composer nos images donc, pourquoi s’en priver ?
La spirale et le nombre d’or (phi)
Cette façon de composer n’est pas la plus intuitive à utiliser mais elle est pourtant l’une des plus efficaces puisque ce fameux nombre d’or exerce une fascination toute particulière sur la plupart d’entre nous, souvent à notre insue. La valeur de ce nombre est d’environ 1,618. On peut d’ailleurs s’en servir de deux façons. La première est de tracer une spirale logarithmique (à progression géométrique) basée sur ce nombre et qui devient plus large de φ à chaque quart de tour. On lui donne alors le nom de spirale d’or. Elle n’est pas sans nous rappeler d’autres spirales que l’on peut observer dans la nature. Il en découle une composition souvent complexe, très étudiée et, si elle est bien maîtrisée, plutôt attractive car la vue d’ensemble qu’elle propose a de quoi nous occuper pendant un moment. Pourtant même si je suis consciente de ses qualités cette méthode me semble un peu trop compliquée, ce qui ne veut pas dire pour autant qu’il faut s’en écarter. Le mieux reste encore de l’essayer. La deuxième manière de se servir du nombre d’or est de tracer un carré, puis de marquer le centre de l’un de ses côtés. À partir de ce point, il faut tracer un trait qui relie ensuite ce côté à l’un des coins opposés. Cette longueur nouvellement tracée vous donne un rayon. À partir de là, vous pouvez à présent tracer à l’aide d’un compas une courbe qui démarre du coin que vous avez choisi de relier jusqu’à couper la ligne prolongée du côté coupé en deux. Cette courbe que vous venez de tracer vous donne les proportions d’un rectangle collé à votre carré. Voilà, sans même vous en rendre compte, vous avez utilisé une méthode qui permet de se servir du nombre d’or (approximativement) dans une foultitude de situations différentes. Comme une image vaut mille mots, référez-vous à celle que j’ai mise juste en dessous pour mieux comprendre… Expliquer cette méthode à l’écrit n’est pas la chose la plus simple à faire.
La porte d’harmonie
C’est une technique qui se rapproche beaucoup de celle du nombre d’or donc je ne vais pas trop m’attarder dessus. Il s’agit là encore de prendre pour base un carré, comme dit précédemment, mais dans ce cas-ci on ne coupe pas l’un des côtés du carré en deux. On se contente simplement de tracer directement la diagonale du carré pour trouver les proportions du rectangle que l’on cherche à lui adjoindre. C’est une méthode très similaire, la seule chose qui change c’est le rapport de proportion entre le carré et le rectangle. A voir dans la pratique laquelle de ces deux méthodes vous préférez.
La règle des tiers
Cette règle est celle que j’utilise et que j’apprécie le plus. Elle est plutôt efficace, suffisamment simple pour être intuitive et assez souple pour s’adapter à de nombreuses situations. Toutefois, c’est une méthode éculée qu’il faut savoir dynamiser pour la rendre un peu plus intéressante car même si elle est efficace et généralement agréable à l’œil, son utilisation la plus basique peut vite nous ennuyer. Elle consiste à diviser la largeur et la hauteur de notre support en tiers. On se retrouve donc avec quatre lignes et quatre intersections qui vont nous servir de guides pour placer les éléments qui nous semblent les plus importants. On se sert aussi de cette règle dans la pratique de la photographie ou dans les films car elle s’adapte très bien au format 4/3 ou 16/9. En association avec les lignes de force, elle peut faire son petit effet.
Les lignes et points de force
Ces lignes sont des horizontales, des verticales, des obliques ou des diagonales qui s’entrecroisent et se répondent. Ici on parle non seulement de lignes directement intégrées à l’image qui représentent bel et bien quelque chose (comme par exemple la ligne d’horizon qui est souvent la ligne horizontale dominante) mais aussi de lignes suggérées qui ne sont pas réellement tracées mais tout de même présentes dans la composition (comme par exemple la ligne qui relie le regard d’un personnage à ce qu’il regarde). Ces lignes se croisent parfois et leurs intersections, que l’on nomme points de force, permettent de placer des éléments que l’on souhaite mettre en avant. Bien évidemment, on peut tout à fait décider de les agencer d’une manière géométrique (losange, pyramide, carré, etc…) pour un effet très construit ou de les disposer de façon désordonnée pour avoir un résultat plus déconstruit. Tout dépend de ce que l’on veut exprimer.
La symétrie
Ce n’est pas une méthode mais plus une astuce. En effet, parfois la seule chose que l’on devrait se demander en contemplant une image est la suivante : symétrique ou non ? Les formes symétriques ont un pouvoir hypnotisant pour certains, irritant pour d’autres. Ce n’est donc pas toujours facile de trancher en faveur de son utilisation ou non. La symétrie aura tendance à interpeller tout en agaçant puisqu’elle est trop souvent attendue. Cependant, la dissymétrie quant à elle aura tendance à surprendre tout en désarçonnant. Elles ont l’une comme l’autre certaines forces toutefois car la symétrie est solide et familière tandis que la dissymétrie est dynamique et libératrice. C’est un résumé sommaire, j’en suis consciente mais c’est un sujet tellement clivant que je préfère ne pas trop le développer dans cet article ci. Les goûts et les couleurs… ne se discutent pas. Personnellement la symétrie ne m’a jamais dérangée si elle est justifiée, tandis que d’autres la jugent comme une solution de facilité ou un manque de personnalité. Permettez-moi d’insister : chacun ses goûts.
La symbolique
Ici nous sommes plus sur un ressenti personnel qu’une règle absolue même si j’ai parfois le sentiment que cette notion est tout de même assez répandu. Je m’explique. Dans le monde occidental, le sens de lecture va de la gauche vers la droite. À ce titre, on considère que le côté gauche de l’image représente symboliquement le passé, le centre représente le présent et vous l’aurez deviné, le côté droit représente le futur. De la même façon, le bas de la toile représente la terre, le centre est l’horizon et le haut de la toile représente le ciel. Tout cela n’est que symbolique et rarement abordé mais je trouve que dans certains cas, cette lecture de l’espace peut avoir un rôle à jouer en association avec la composition. Notons que dans certaines cultures, le sens symbolique de la gauche (passé) et de la droite (futur) est inversé.
Une composition cohérente
Ce point est tout autant personnel mais je vais quand même en parler ici de façon rapide. Ce que j’entends par une composition cohérente c’est que dans le meilleur des cas, la composition ne doit pas seulement être plaisante à l’œil mais aussi soutenir l’idée et participer à transmettre son message (si message il y a). Pourtant, et c’est là que réside la difficulté, la composition n’est pas l’idée. Elle ne doit pas s’y substituer et à elle seule exprimer le message car ce n’est pas son rôle. Ce que l’on attend de la composition c’est de faire en sorte que l’idée soit comprise le plus rapidement et le plus clairement possibles. On pourrait dire que si l’idée était le discours, alors la composition serait l’orthographe. Oui, j’aime les comparaisons douteuses.
Le vide
Dernier point, l’importance du vide dans une composition. Alors oui, ce n’est pas la première chose qui nous vient à l’esprit instinctivement mais cela reste pourtant un aspect essentiel de la peinture. Composer une image complexe, très chargée et foisonnante sera toujours plus saisissant si l’on pense à inclure dans cette même image une zone de respiration, c’est-à-dire un espace plus dépouillé. En un mot, un vide. Par contraste, cela permet de renforcer les zones surchargées et donne à notre œil un refuge, une zone de tranquillité qui est parfois nécessaire pour apprécier l’ensemble.
À ce stade, je vais une fois encore répéter que comme tout ce qui touche à l’art et qui est donc subjectif, composer une image reste avant tout une affaire de goût et de ressenti. Certains apprécieront tout particulièrement une composition sommaire mais maîtrisée tandis que d’autres seront plus attirés par la complexité. De la même façon, un artiste est libre de créer de la manière qui lui convient, avec les outils qui lui correspondent le mieux. Ce n’est pas parce qu’il existe des méthodes pour élaborer une composition construite qu’il existe dans le même temps une obligation de les utiliser. L’instinct a tout autant un rôle à jouer dans la création ce qui signifie que ces règles peuvent tout à fait être questionnées. C’est d’ailleurs ce que font certains courants de la peinture.
Pour finir, faisons une mini piqure de rappel : tout ce que je raconte dans mon blog n’a pas pour but de vous dire ce que l’on doit faire ou non pour pratiquer la peinture. Je ne me permettrais pas. Tout ceci n’est qu’une réflexion personnelle qui vous livre ma vision des choses, ni plus ni moins. Merci d’être arrivé jusque là et à bientôt !
*Image de couverture par cottonbro studio sur Pexels