À présent que les trois couleurs primaires ont chacune eu droit à leur article respectif, il est temps d’aborder un nouvel échelon dans le cercle chromatique : les couleurs secondaires. Et pour ce faire, quoi de mieux que de commencer par le vert ? Cette couleur, qui fait partie des couleurs dites froides, possède comme toutes les autres son lot d’aspects positifs et négatifs. Toutefois, le vert est unique en son genre et nous allons voir pourquoi dans le paragraphe suivant. Après tout, la planète bleue ne serait pas la même sans le vert.
Signalons d’emblée que cette couleur n’est pas la plus populaire. Peut-être par effet de contraste puisqu’elle est omniprésente dans notre quotidien. Pourtant, et c’est là que réside toute sa force, aucune autre couleur ne peut rivaliser avec elle lorsqu’il s’agit de représenter la nature. Après tout, la notion de nature au sens large s’incarne toute entière dans cette seule couleur, qui la symbolise si bien. Ce n’est pas un mince exploit ! Outre cela, le vert est la couleur de l’espoir, de l’équilibre, du renouveau, de la fertilité ou même de la folie. En raison de sa surreprésentation dans notre environnement et de son lien aux plantes, on l’associe également à la vie elle-même. Car si le bleu de l’eau est indispensable à la vie sur terre, le vert des plantes est quant à lui indispensable à la survie de toutes les espèces animales, humains compris. D’ailleurs il est intéressant de noter que le vert, notre survie, résulte du mélange du bleu (la vie) et du jaune (la lumière). Le vert est également une couleur permissive (feu vert) en opposition à sa complémentaire, le rouge (interdit). Ceci étant écrit, entrons dans le vif du sujet.
Tour d’horizon
Dans de nombreux pays, dont la Chine, on interprète les rêves dans lesquels le vert est présent de façon très positive. Toutefois le vert est très ambigu, comme nous allons le voir, et ces mêmes rêves peuvent très bien basculer dans le négatif lorsqu’il apparaît en excès. Au Japon, il est symbole d’éternité. En Europe et ailleurs, la perception que l’on en a est également très impactée par la symbolique de l’émeraude, une pierre précieuse à la couleur verte caractéristique dont nous reparlerons plus loin. Dans le folklore irlandais, on l’utilise pour représenter le Saint Patrick. Il est également associé aux fameux leprechauns, sorte de lutins farceurs très protecteurs envers leur or. En occident de manière générale, le vert est la couleur de l’espoir certes, mais également de la chance. Dans la symbolique orientale, c’est une couleur que l’on associe à l’islam. Chez les anglosaxons, il est synonyme de prestige, d’ambition et d’argent (le célèbre billet vert). En Asie, il est principalement lié à la fertilité mais peut aussi être associé à l’infidélité ou au mensonge. En héraldique, le vert change de nom et se nomme alors sinople. Dans la symbolique antique, le vert était la couleur de la planète Vénus. D’accord, mais quelles sont ses forces exactement ?

Ses qualités
Si la notion de nature et de fertilité lui sont si étroitement liées, c’est d’abord et avant tout en raison de son omniprésence dans les campagnes du monde entier. C’est une couleur qui apaise autant qu’elle calme. On dit que regarder un paysage plein de verdure a le pouvoir de cicatriser les yeux en raison de la présence d’une grande quantité de teintes vertes. Le printemps, saison du renouveau de la nature, est également très lié à cette couleur, sans grande surprise. C’est la couleur de la chance. Après tout, les trèfles à quatre feuilles sont sensés porter chance et sont bel et bien verts. On notera aussi, pour le clin d’œil, que les tapis de jeux (casino, billard, poker) sont généralement de cette couleur. Au-delà de cela, dans la symbolique chrétienne le vert est à égale distance du bleu du Ciel et du rouge des enfers. C’est une couleur d’équilibre, médiane, qui représente également l’attente de la résurrection. La croix du Christ est parfois représentée en vert comme symbole d’espoir de la délivrance. Le trône du juge de la fin des temps serait d’ailleurs fait de jaspe vert. Dans l’islam, c’est la couleur du prophète et des bienheureux. Elle y prend aussi un aspect plus mystique car seuls les saints et les visionnaires peuvent parvenir aux villes d’émeraude situées dans les ténèbres. Mais le vert n’est pas seulement cela, il est également symbole de fortune (qu’elle soit bonne ou mauvaise), de destin, ainsi que du caractère précaire des choses, ce qui lui vaut une certaine ambivalence. Et oui, le vert a quelques défauts.
Ses défauts
En vérité il peut tout aussi bien basculer du mauvais côté de cet équilibre. C’est, avec le rouge, la couleur du Diable. Sur un vitrail de la cathédrale de Chartres qui représente la Tentation de Jésus, on voit un Diable à la peau et aux gros yeux verts. Au Moyen Âge, où il était difficile et coûteux de se procurer les pigments nécessaires à la fabrication d’habits verts, cette couleur devenue instable prit, à l’instar du jaune, une mauvaise réputation. On s’en servait donc pour habiller les fous. Par ailleurs, « l’homme vert » qui apparait dans les contes ou certains récits modernes est bien souvent sinistre. On citera comme exemple le Grinch. Ou le Joker tout de vert vêtu. Avez-vous dit folie ? Pareil pour le Bouffon vert (Green Goblin). Dans un tout autre registre, les comédiens de théâtre refusent de s’habiller en vert, même encore de nos jours. Cette ancienne superstition serait due au fait que les teintures qui permettaient de fixer la couleur verte sur les vêtements contenait autrefois des substances dangereuses pour la peau. Peut-être de l’arsenic. Ajoutons pour conclure ce paragraphe qu’en excès, le vert peut tout à fait remplir une fonction de menace car il devient alors étouffant et nous renvoie à celle, bien tangible, que peut représenter la nature elle-même. Quoi de plus inquiétant en effet qu’une jungle aux verts écrasants dans laquelle nous serions bien en peine de nous orienter. Si la nature possède une symbolique positive, elle peut par moment nous apparaitre comme mortelle, ce qui se répercute également sur la couleur qui lui est associée, le vert.

L’émeraude
La symbolique de cette pierre impacte tellement la couleur de cet article qu’il était impossible de passer à côté, donc nous allons lui consacrer son propre paragraphe. L’émeraude, à la teinte verte si intense, fascinait déjà les Aztèques. Elle était la « lumière verte » et était associée à l’oiseau Quetzal aux plumes d’un vert vif, symbole de fertilité. Le saint Graal est d’un vert émeraude. On dit de l’émeraude qu’elle est un remède précieux à toutes les maladies et à toutes les faiblesses de l’homme car elle est conçue par le soleil et sa matière vient du vert de l’air. En Europe, cette pierre était réputée pour faciliter les accouchements, voire même, puisque le vert est la couleur de Vénus (Aphrodite), pour favoriser les amours. Au sein du soufisme comme dans l’ésotérisme chiite, la visio smaragdina, la perception de cette couleur d’émeraude, représente le point ultime à atteindre dans la méditation. Par ailleurs, la tradition rapporte qu’une émeraude serait tombée du front de Lucifer. Comme toutes les lumières qui percent les ténèbres du mystère, l’émeraude a une réputation assez ambigüe. Selon d’anciennes croyances égyptiennes, elle permettait, lorsqu’on la plaçait sur la langue, de parler avec les esprits. Cependant malgré tout leur éclat, les colliers ou les bagues d’émeraude sont réputés pour porter malheur. Que de contradictions !

Abordons à présent quatre nuances de vert et voyons ensemble ce qu’elles peuvent nous évoquer, au-delà de toutes les symboliques précédemment citées. Nous entrons dans la partie un peu plus personnelle de cet article donc une fois de plus, rappelons avant de nous lancer que tout ceci n’est que mon ressenti. Tous les voyants sont au vert, allons-y !
Vert émeraude
Si une teinte verte me vient plus spontanément en tête que toutes les autres, c’est bien le vert émeraude. Elle est si intense, si franche, et pourtant si lumineuse, qu’elle peut à elle seule changer la perception d’une toile en un instant. En bien ou en mal ! Une touche de cette teinte est plaisante, sophistiquée et même élégante suivant les associations dans lesquelles on la marie. Toutefois, en trop grande quantité, elle peut vite devenir oppressante, voir nocive. D’ailleurs, il fut un temps où elle était bel et bien toxique puisque le pigment utilisé pour fabriquer cette teinte dégageait des vapeurs d’arsenic mortelles. Ce n’est plus le cas de nos jours grâce aux pigments synthétiques. On peut d’ailleurs ajouter rapidement que le vert émeraude peut rarement être renommé en vert smaragdin. À mon sens, cette teinte est l’une des plus puissantes parmi les verts.
Vert forêt
Ce vert, assez franc et très sombre, est inspiré des sapins. Il possède une pointe de bleu gris qui le désature suffisamment pour le rendre apaisant sans pour autant l’affadir. C’est une teinte toute indiquée pour peindre la nature en générale et qui m’évoque plus personnellement la pénombre des sous-bois. Comme toutes les teintes d’un beau vert sombre, elle s’accorde très bien avec la plupart des couleurs dites naturelles comme le beige, l’ocre, le brun ou le gris, surtout si ces dernières sont utilisées dans leurs versions les plus pâles. Sobre et même un peu solennel, il fait des merveilles pour contrebalancer les couleurs plus vives mais attention, il faut qu’un certain équilibre soit respecté. Une grande quantité de vert forêt se contrebalance très bien avec une petite quantité de couleurs vives. Varier ces proportions s’avère plus hasardeux.

Vert turquoise
Sachant que le bleu reste ma couleur favorite, il était difficile pour moi de ne pas évoquer le vert turquoise. Que ce soit le vert turquoise ou le bleu turquoise, la différence reste assez mince entre ces deux couleurs mais une chose est sûre, elles sont toutes deux lumineuses, vives et joyeuses. Le vert turquoise aura une dominante verte et, vous l’aurez compris, le bleu turquoise aura une dominante bleue. Toutefois le vert turquoise a quelque chose d’exotique, quelque chose qui se rapproche de la couleur des eaux paradisiaques de certaines îles du bout du monde. C’est en partie pour cette raison que cette couleur me plait autant. Outre cela, cette couleur est toute indiquée pour attirer l’attention sur l’un ou l’autre des éléments de votre composition. En effet, la luminosité qui s’en dégage captera le regard du spectateur à coup sûr.
Vert sauge
Le vert sauge est un vert gris dont la teinte est directement inspirée des feuilles de la sauge officinale. C’est un vert assez désaturé, à la fois chic et discret, qui pourrait passer pour la version adoucie d’un vert kaki qui lui-même serait un dérivé atténué du vert armée. Cette teinte, douce et reposante, aura de quoi apaiser une composition bariolée. Toutefois sa discrétion peut jouer en sa défaveur car le vert sauge n’aura pas forcément la puissance nécessaire pour contrecarrer une couleur trop vive. Une fois encore, tout dépendra de l’équilibre établi entre les teintes juxtaposées ainsi que de l’effet recherché. Cette couleur, comme la plupart des teintes vertes et comme je l’ai déjà écrit un peu plus haut, se marie parfaitement aux couleurs dites naturelles comme l’ocre, le beige, les bruns, les bleus, les tons gris. À titre d’exemple, j’affectionne tout particulièrement le couple brun cramoisi et vert sauge.
Si le vert est une couleur apaisante malgré son ambiguïté, c’est aussi parce qu’elle nous accompagne tous et toutes depuis notre plus tendre enfance. Parmi toutes les couleurs du cercle chromatique, c’est la couleur à laquelle aucun de nous ne peut échapper. Elle est dans chaque plante, dans chaque arbre, dans chaque près, dans chaque paysage. Partout où notre regard se pose, il y a de fortes probabilités pour que le vert soit présent, que ce soit en grande ou en petite quantité. Ainsi donc, si le vert devait m’inspirer une sonorité, je pense que ce serait une bossa nova. Non seulement ce style de musique m’évoque instinctivement le vert du drapeau brésilien, mais je trouve ce genre musical tout à fait adapté à cette couleur. Une bossa nova plutôt lente, épurée, apaisante, pourrait sans mal accompagner une balade en forêt. Elle pourra osciller entre des passages joyeux ou d’autres, plus inquiétants, voire mystérieux… Oui vraiment, pour moi le vert est définitivement une bossa nova !
Nous arrivons à la fin de cet article consacré au vert mais il serait incongru de le terminer sans citer quelques œuvres célèbres lui rendant hommage. Commençons donc par Les Nymphéas de Claude Monet, Le Jardin aux Tournesols de Gustave Klimt ou encore les Champs de blé vert de Vincent Van Gogh. Ils célèbrent tous trois la nature. Nous pourrions ensuite citer Lucrèce de Paul Véronèse qui utilise une jolie sélection de verts pour ses tissus, et finir tout en douceur par Madame Marthe X de Henri de Toulouse-Lautrec.
Merci d’avoir lu cet article jusqu’au bout. À bientôt pour le prochain article !